« Pour que j’ai une grand-mère, faudrait que t’aies une mère. (extrait Eden à Slimane)
Slimane peste contre son ami d’enfance et associé Bourrisse de lui imposer l’enterrement de son paternel. Chez les kabyles, point de cérémonie on ne fait pas dans la dentelle, un sms annonçant la mort d’un proche. Point. Sans fioriture. Alors pourquoi se plier et faire cas de ce chantage affectif. Bref, il se sacrifie et se rend à l’ église quitte à se faire courser par des anges frisés. C’est plus fort que lui. Se sentir comme un Arabe parmi les Blancs et comme un Blanc parmi les Arabes. Esprit de contradiction ? Pas du tout. Il sait lire, mais toujours entre les lignes.
Confronté à la détresse de la mère de Bourrisse, il décide de renouer avec la sienne. Un beau jour, Slimane a claqué un « tu me fais chier » en refermant la porte du domicile maternel. Il n’y est plus revenu depuis plus de 8 mois, privant par la même occasion ses propres fils de leur grand-mère. Il réalise que la douleur palpable dans les propos de la mère de son ami pourrait être celle de sa propre mère. Elle se retrouve seule amputée d’une progéniture qui est là sans l’être. Juste pour constater si elle n’a pas durci. Oui, Taos se sent abandonnée et peu importe la fréquence des visites de ses enfants.
Alors à plus de cinquante ans, Slimane veut renouer avec la figure maternelle et se réapropprier son rôle de fils.
Alors oui c’est compliqué de devoir l’approcher de nouveau et surtout de s’imaginer les retrouvailles. N’allait-il pas essuyer des reproches ? Il redoute les paroles acerbes de sa mère. Taos n’a jamais mâché ses mots. Elle a le don de vous mettre plus bas que terre et piquer là où ça fait mal. Non, Taos ne fait pas dans la demi-mesure. Elle dit les choses telles qu’elles sont sans avoir peur de froisser et peu importe l’interlocuteur. Elle n’a jamais eu le temps pour les faux-semblants et a élevé ses enfants avec rigueur, sans compromis.
Et c’était plus fort que moi… je surveillais ce vieux caméléon qui, même couché sur le dos les pattes à l’air, était capable de vous sauter à la gorge. (Extrait)À travers des comptes-rendus médicaux et des anciennes ordonnances, Slimane découvre l’intimité de sa mère et réalise à quel point elle a souffert, à quel point elle les a protégés d’un destin similaire au sien. Alors oui, elle peut s’octroyer le droit de critiquer Slimane, roi du burger hallal. Elle ne comprend pas le métier de son fils. La cuisine est une tâche réservée aux femmes. Elle. qui a tout sacrifié pour sa progéniture, elle lui rêvait meilleur avenir.
Slimane décrit sa famille sans faire de concessions. Sa fratrie et lui ont appris à se construire malgré un héritage familial difficile. Le père, absent et peu communicatif, distribuait des gifles. La mère, quant à elle, leur a donné de l’amour seulement 5 ans chacun. Chez les kabyles, l’instinct maternel n’est pas une priorité. On éduque avec fermeté. On pousse les enfants à atteindre les sommets tout en restant sur le droit chemin.
En dépit des secrets et des sacrifices, Taos a toujours été une source de force et de soutien pour sa famille. Son parcours est marqué par des épreuves et des difficultés, mais elle les a affrontées avec courage et détermination. La relation entre Slimane et sa mère va au-delà des vérités cachées et des non-dits. Leur amour est aussi fort que leur exaspération mutuelle.
Magyd Cherfi rend hommage à l’amour maternel, permettant à un fils et une mère de renouer, de se confronter, de s’aimer et surtout de se comprendre. Taos est une femme indépendante. Elle ne se plie pas aux normes qui limitent les femmes à des rôles traditionnels. À presque 80 ans, elle désire explorer de nouvelles choses, aimer et profiter de sa liberté, sans se préoccuper du jugement des autres ou de l’avis de ses enfants. Elle veut porter des pantalons et acheter des soutiens-gorges. Elle choque Slimane dans ses envies d’émancipation mais il en est fier au final.
Elle vivait seule désormais, Taos, sans contrainte aucune… seule enfin, enfin libre d’être ce qu’elle avait toujours redouté de devenir. (extrait)
Ce roman est une ode à toutes nos mères et nos grand-mères kabyles ou non. Magyd Cherfi nous plonge sans ménagement dans nos propres souvenirs d’enfance. Taos me rappelle ma grand-mère qui, veuve très jeune, a su s’affranchir. Elle a pris ses propres décisions et a encouragé ses enfants à devenir des individus libres. Pour moi, elle incarne un modèle de résilience et de persévérance. Elle nous a protégés tout en préservant son intégrité et sa liberté. Sa force et sa détermination continuent de m’inspirer, même aujourd’hui.
Alors sur la vie de ma mère et même si Magyd Cherfi parle de ses origines, ce livre parle à tout un chacun. Même si votre grand mère n’avale pas les voyelles des débuts de mot. Vous n’allez tout de même pas passer pour un « bécile » et rester aussi têtu qu’une « sperge » ? Adoptez le style Cherfi.
Pour elle, j’étais pas qu’un beau bijou ou
un joli poisson rouge ou une bise sur la joue
Mais le plus fort en tout, mais le plus fort en tout (Le plus beau Zebda)
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