J’ai eu envie de faire le tour du monde, et voilà j’ai fait le tour du monde… (Jean, adulte)
Un homme, sac au dos, traverse d’un pas déterminé un domaine viticole. Jean revient en Bourgogne, après dix ans d’absence, pour rendre visite à son père mourant. Celui-là même qu’il avait quitté, écrasé par son autorité et son intransigeance. Cela fait près de cinq ans qu’il n’a plus donné de nouvelles. On peut partir loin, mais on finit toujours par revenir à ses racines.
Juliette, sa sœur, est ravie de le retrouver. Jérémie, son frère, ne parvient pas à lui pardonner son absence. Après l’hospitalisation de leur père, les plus jeunes de la fratrie ont dû se débrouiller tant bien que mal. Malgré des retrouvailles en demi-teinte, l’amour fraternel est rapidement perceptible.
Le domaine viticole familial est resté figé dans le temps, comme si le spectre de leur vie d’avant était toujours là. À l’image des bols soigneusement rangés au même endroit dans la cuisine.
« Ah, ils sont encore là ! » (Extrait) Rien n’a changé, mais tout doit changer.
A la mort de leur père, pour la première fois, c’est à eux de décider. Conserver le domaine et continuer à faire du vin, ou se séparer comme des raisins qui se perdent dans la foule ?
Jean, avec son côté protecteur, ressemble à un sommelier qui aurait oublié comment servir un verre. Il s’est éloigné pour se retrouver, mais il a plutôt trouvé un labyrinthe de doutes et de regrets. C’est un peu comme s’il avait essayé de déchiffrer une étiquette de vin en latin sans jamais avoir appris la langue ! En fin de compte, il a raté sa vie d’homme comme il a raté l’occasion de trinquer avec son père, ne réalisant pas que l’amour paternel était peut-être la meilleure cuvée qu’il aurait pu déguster. « L’amour, c’est comme le vin, il faut du temps. Ça doit fermenter. Et ce n’est pas toujours pourri au final. »(Jean)
Juliette est bien décidée à prouver que les femmes savent aussi faire du vin, domaine habituellement réservé aux hommes. Avec le soutien de ses frères, elle est prête à y laisser son empreinte et à manier le sécateur. » Papa n’est plus là. C’est toi qui décide. » (Jean à Juliette)
Jeremie voudrait s’affirmer. Ses émotions débordent comme un verre trop plein, surtout avec une belle-famille qui ressemble à un bar à vin où tout le monde veut donner son avis sur le meilleur cépage ! Il essaie de faire entendre sa voix mais ses mots se perdent comme un bon vin oublié au fond d’une cave. D’où la scène culte avec son beau père. Il a tant de choses à dire mais les mots ne sortent pas forcément dans le bon ordre. « Si j’ai pas envie de de de..Il faut que vous arrêtiez de croire que.. que… » (Jérémie à son beau-père)
Cédric Kaplisch sème des petites grappes d’humour et de tendresse qui, au fil des saisons, se transforment en un grand cru, tout comme cet amour fraternel qui reste intact. Jean, Juliette et Jérémie portent les mêmes initiales, comme s’ils formaient un assemblage parfait, un peu déséquilibré si l’un d’eux venait à manquer.
La scène de la paulée est le nectar du film, où l’on ressent une complicité unique, surtout lorsque Juliette, victime d’une perte de consonnes, peine à s’exprimer avec ses frères. Et que dire des moments où ils imaginent les échanges de leur sœur avec un vendangeur ? C’est simple, mais d’une efficacité redoutable. La fratrie finit par se retrouver.
Le film fait des allers-retours entre le passé et le présent, permettant de mieux comprendre la personnalité de chacun et cet amour pour le vin qui les lie depuis l’enfance. On les voit enfants pour mieux saisir leurs parcours d’adultes. On suit également la vinification, en parallèle avec l’évolution de cette fratrie qui apprend à mûrir ensemble, tout comme les raisins qu’ils cultivent. Boire du vin tisse inévitablement des liens entre les êtres. En savourant le vin élaboré par leur père et leur grand-père, ils retrouvent un petit morceau de chacun d’eux, comme une gorgée de souvenirs partagés.
Apprécier un bon vin nécessite du temps pour en révéler toutes les nuances. On y revient sans cesse. Ce qui nous lie nous rassemble. Tel un bon alliage de cépages, ce film nous enivre jusqu’à la lie.
Au fond, quand on fait du vin, on met de l’humain dans une bouteille. (Cédric Klapisch)