Les Acteurs se dresse comme un clin d’œil malicieux aux légendes qu’on croyait immortelles. Là, on retrouve ce trio détonnant qui refuse de se faire oublier malgré le temps : Marielle, Villeret et Dussollier. Marielle, le blasé au regard défiant, lance d’un ton qui en dit long.
Certains trouvent que j’ai une tête d’acteur, moi pas. J’ai une tête de rien. Au fond, c’est peut-être mieux pour être comédien, avoir une tête de rien, pour tout jouer.
Imaginez la scène : un restaurant bondé, l’appareil en gros plan sur ce trio incandescent. Marielle s’emporte pour un pot d’eau chaude, comme s’il s’agissait d’un César :
Tu m’as entendu demander un pot d’eau chaude tout à l’heure ? (…) Tu demandes un pot d’eau chaude, on dirait un pot d’eau tiède.
Ce simple accessoire devient le fil rouge d’une carrière, une révolte contre l’oubli, une raison de crier haut et fort :
Un acteur qu’on écoute plus, qu’est-ce que c’est ? Un homme perdu, mon petit vieux ! (Marielle) Et, dans un élan de verve, Villeret rétorque, entre deux gorgées :
Mais… Si je t’écoutais, si je t’écoutais… C’est à toi de te faire écouter, dans la mesure où tu ambitionnes d’être entendu !
C’est ça, Les Acteurs. Des vieux briscards qui en ont encore sous le capot, même si personne ne leur demande plus rien. Un monde où on gueule pour un pot d’eau chaude parce qu’au fond, on n’a plus grand-chose d’autre à défendre. Mais tant qu’il y a des mecs pour s’indigner, tant qu’il y a des répliques qui fusent, des trognes fatiguées qui continuent d’y croire, c’est que le cinéma n’est pas complètement mort.
Mais Les Acteurs, c’est surtout ce foutu miroir où viennent se regarder les vieilles gloires du cinéma, histoire de vérifier si elles existent encore. Belmondo débarque, sourire en coin, la démarche de celui qui n’a jamais rien pris au sérieux et qui, pourtant, a tout compris. Un haussement d’épaules, un rire de gamin qui sait que le cinéma, c’est comme la vie : ça ne tient qu’à un geste.
Et Jacques François, avec son air d’aristocrate qu’a trop vu d’imbéciles, balance ça comme on lâche une bombe sur un salon de thé :
J’en ai plein le cul, figurez-vous, de jouer les hommes du monde ! J’emmerde les hommes du monde ! Moi aussi je peux dire mes couilles, ma bite et mon couteau !
Dans ce bordel organisé, Balasko s’amuse à jouer Dussollier qui parle de Balasko version cabotine. Une caricature tellement outrée qu’elle en devient sublime. Elle se traite de grosse. Dans ce cirque, l’ironie est la seule politesse qui vaille.
Et puis y’a Claude Brasseur qui taille la bavette avec son père. Ça, c’est pas du cinéma, c’est de l’orfèvrerie. Et Bertrand Blier qui clôt la scène comme on referme un vieux livre, balançant ses derniers mots à son père dans un écho qui sent le zinc. À cet instant, c’est pas un acteur qui parle, c’est un fils qui se souvient.
Les Acteurs, c’est ça. Une confession déguisée en farce, un hommage bien présent. Une façon de rappeler que le cinéma est tellement beau quand il refuse de crever. Tant que ces voix résonnent, tant que ces trognes surgissent au détour d’une réplique bien sentie, le septième art tient debout, vacillant, mais debout.
Y’a pas de metteur en scène dans ce film de merde ? Où il est ce con ?
On pourrait s’imaginer… mais non. Ça, c’est encore une autre histoire un dernier dialogue entre les trois personnages centraux du film. Marielle éclate de rire, un rire râpeux de vieux fumeur. « Bons ? Mon pauvre vieux, on a été magnifiques ! Mais regarde-moi ce cinéma d’aujourd’hui… Tu crois qu’ils voudraient encore de nos tronches cabossées et de nos voix enrouées ? » Villeret soupire, le regard dans le vide. « Peut-être qu’on a jamais fait que ça, se jouer nous-mêmes. Peut-être que c’est ça, être acteur : faire semblant d’exister mieux que les autres. » Dussollier esquisse un sourire, lève son verre et balance, tranquille : « On est bons parce qu’on y croit. Et tant qu’on y croit, on joue encore. »
Alors vous y croyez encore ? Il est grand temps de découvrir ou de revoir ce film, avec les plus grands noms du cinéma français. « L’idéal quand on veut être admiré, c’est d’être mort » (Michel Audiard)