Abécélire Littérature française

Ce que Camus ne m’a pas appris – Thierry Poyet

J’ai tué un homme et je ne le regrette pas. (extrait)

Pourtant tout avait bien commencé, Thomas Chambertin avait rencontré Valérie sur les bancs de la fac et ils s’étaient tout naturellement mariés. Une vie normale comme la plupart des gens, une maison, deux enfants, un poste de professeur de lettres dans un lycée de Saint Etienne.

Cependant, certains actes peuvent être lourds de conséquences. Il suffit d’un petit grain de sable dans le rouage de la vie, un petit coup de canif dans le contrat de mariage et tout bascule… Sa femme et ses filles l’abandonnent avec pour seule reconnaissance, un divorce et une pension alimentaire à verser.

Désormais seul et désabusé, il participe aux manifestations des gilets jaunes chaque samedi. Comme un rituel. Comme s’il avait besoin d’appartenir à une cause, de trouver un sens à son existence. Il s’éloigne peu à peu de sa vie d’avant à l’image de sa famille qui l’a rayé définitivement de sa vie.

Le bonheur ? Peut-être l’absence de problème, oui, bien sûr, mais quand tout me semble trop serein, que rien ne se passe, je m’ennuie. (extrait)

Anne Laure Guérin jeune juge d’instruction fraichement sortie de l’école nationale de la magistrature est affectée à Saint Etienne. La vie a toujours été très généreuse, elle n’a jamais manqué de rien. Méprisante à l’égard de la classe moyenne, elle n’en pense pas moins des gilets jaunes qui ne sont qu’un ramassis de pauvres gens. Elle s’ennuie dans cette petite ville où elle instruit des dossiers de pauvres gens sans intérêts.

Anne-Laure refusait d’entendre que le souci de l’autre puisse l’emporter sur le souci de soi.(extrait) 

Rien ne laissait supposer que le chemin de ces deux êtres allait se croiser… C’était sans compter sur Chambertin et ce 25 mai, jour de manifestation. Comment un destin peut-il basculer en si peu de temps à force de frustration ?

Lui qui a besoin de décharger toutes ses rancoeurs, pète littéralement les plombs et tue cet homme, incarnation de tous les nantis de la terre et de toutes ses propres frustrations. Elle qui exècre le bas peuple, se retrouve à instruire le dossier de ce pauvre professeur de lettres qu’elle considère déjà comme inférieur.

Leur première rencontre la désarme. Elle se retrouve devant un homme intelligent, plein d’esprit. Cependant, ne cherchant pas à aller au-delà de ses convictions personnelles, elle le condamne dès le départ. Homicide volontaire ou coups et blessures ayant entrainé la mort sans intention de la donner ? La frontière est mince, le sort de Chambertin est lié à cette juge sans affects et implacable.

« Vous n’avez pas le droit de casser la vie des gens comme ça, d’un trait de plume, en bas d’un dossier, simplement parce qu’ils ont refusé de vous dire ce que vous souhaitiez entendre. » (extrait)

Thierry Poyet nous montre le cheminement de deux individus diamétralement opposés avec pour seul point commun, la recherche d’idéaux déçue par l’hypocrisie des autres. L’un fonctionnaire du ministère de l’éducation, se sait abandonné par ses pairs. L’autre fonctionnaire d’Etat, se sent lâchée par sa hiérarchie.

A l’image de Camus, l’auteur confie la narration à des narrateurs qui ne sont autres que les personnages de l’histoire. Un je qui renvoie à Chambertin et un elle qui renvoie à Guérin. Il invite le lecteur à considérer les personnages dans leur complexité. Chambertin est-il vraiment coupable ? Guerin correspond-elle à l’image qu’elle renvoie ? Chacun cherchera sa propre interprétation.

Alors qu’est ce Camus n’a jamais appris à Chambertin ? Peut-être à exprimer son profond mal-être, son apathie qui l’a conduit à commettre l’irréparable ? On dit souvent que la formulation des sentiments permet de diminuer leur intensité.

Parler de ses peines, c’est déjà se consoler. (Camus)

Comme à chaque fois, les romans de Thierry Poyet sont saisissants de vérités et affutent notre regard sur la société qui nous entoure. On en ressort plus prompt à réfléchir.

Ce que Camus ne m’a pas appris

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